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  LE PHARAON BLANC







Sur Paris

Chapitre 4 
 
9h30, j’arrivais en gare de St Lazare. En moins de deux heures, j’avais effectué mon trajet sans problème particulier, à part bien sûr à l’arrivée à Paris, terminus de mon voyage. En effet, les provinciaux jusqu’ici très sages se sont transformés en parisiens aguerris aux heurts et combats matinaux du “premier sorti du train”, de “celui qui court le plus vite sur le quai”, allant même jusqu’à viser le podium de “celui qui sera le premier dans le métro”, quitte à marcher sur celui à côté duquel ils auront tranquillement voyagé durant les deux dernières heures. Cette mutation a lieu déjà un quart d’heure avant d’arriver à Paris avec un signe avant coureur qui ne trompe jamais : la file d’attente, bagages à la main, dans le couloir qui longe les places assises où vous êtes tranquillement installé, le train roulant toujours. Je les ai donc laissé faire et, esseulé sur le quai, je me suis rapidement retrouvé à faire la course avec une petite dame âgée équipée de son déambulateur. Elle réussit même à me battre et déclarai donc  
forfait, me rabattant sur le kiosque à journaux.  
“ Alors, David, tu t’intéresses aux vrais journaux maintenant ?  
- Oh, salut Pierre ! Ca me fait plaisir de te voir, lui dis-je en le prenant dans mes bras.  
- On se prend un jus... et plus si affinités ?  
- Avec plaisir pour le café mais pour ce qui est du reste, tu sais bien que je n’ai jamais pu blairer la moustache chez mes partenaires ! “  
Nous nous installâmes tous deux à la terrasse d’un café situé juste à la  
sortie de la Gare St Lazare. Compte tenu de la petite chaleur doucereuse qui nous enveloppait déjà, nos vestes respectives étaient sagement posées sur les dossiers de nos chaises métalliques vertes. Il flottait sur Paris ce même petit air de vacances qu’hier à Rouen, hormis bien sûr la horde motorisée qui déferlaient sans cesse sur les grands boulevards et qui me rappelaient bruyamment où nous étions. Je connaissais Pierre depuis pas mal d’années maintenant, depuis le temps où, sur Paris, j’avais effectué des stages dans les rédactions de deux grands quotidiens nationaux, dont le  
sien, “Planète“, où il travaillait depuis plus de vingt ans. Sur le plan journalistique le stage à “ Planète “ ne m’avait pas appris grand  
chose. J’y avais surtout été formé à l’art de la préparation du café et au maniement de la photocopieuse du 1er étage. Mais j’y avais rencontré des personnes formidables avec lesquelles j’entretenais toujours des contacts. C’était donc le cas pour Pierre qui m’avait un peu pris sous son aile à l’époque. Après avoir avalé un premier café et échangé les phrases d’usage de deux copains qui se retrouvent, il me demanda :  
“ Alors, fils, que puis-je pour toi ? Je t’avouerai que ton coup de fil d’hier m’a un peu laissé sur ma faim.  
- J’ai besoin de toi, Pierre, de tes formidables capacités de journaliste d’investigation, de ton expérience, de ton...  
- N’en jette plus, la cour est pleine. Si tu arrêtais la brosse à reluire et que tu allais droit au but, gamin.  
Fils, gamin. Pierre avait toujours utilisé ces termes mon encontre. C’était plus fort que lui, son côté paternel prenait toujours le dessus. Je trempai les lèvres dans mon café, avalai une gorgée et repris : 
- Voilà. Une personne, plutôt du style mystérieux, si tu vois ce que je veux dire, m’a approché avant hier soir en me parlant de vols dans certains musées nationaux de pièces antiques uniques. Il n’y a cependant aucune information particulière sur ces disparitions. Idem pour des collectionneurs privés qui auraient vu disparaître certains de leurs objets sans déposer la moindre plainte. Je ne te demanderais pas d’aide si depuis je n’avais pas été le témoin d’évènements surprenants…  
- A savoir ?  
- Il y a depuis une dizaine de jours à Rouen une exposition sur l’art Égyptien. Celle-ci réunit bon nombre de pièces uniques, venant pour la plupart de collections privées. L’autre nuit l’alarme du musée s’est déclenchée sans raison apparente si j’en crois les dires de son directeur. Le plus surprenant, c’est que l’après-midi qui a suivi, je suis allé y refaire un tour. J’avais d’autant mieux mémorisé la plupart des pièces que, pour le compte d’un article, je les avais photographiées et bien observées la veille. Et bien, trois d’entre elles avaient été changées, remplacées par d’autres objets. De la façon la plus candide possible, j’en parle au directeur qui bredouille une explication incohérente et qui, sans crier gare, s’emporte, m’envoie sur les roses et s’enferme dans son bureau. J’ai toujours eu de très bon rapports avec lui. Mais, là... Bizarre, le bonhomme… 
- Et ces objets qui auraient été changés ?  
- Une statuette en Bronze représentant la déesse Selkis, un papyrus sur lequel apparaissait un extrait du Livre des Morts sous la forme de Hiéroglyphes et un canope.  
- Et je suppose que tout ceci doit avoir de la valeur ?  
- Très certainement mais pas autant que certaines autres pièces qui figuraient dans le musée. Il y avait des statuettes et des bijoux en or et pierres précieuses. Une simple bague en or valait certainement beaucoup plus que ces trois objets plus modestes, d’apparence en tout cas. Alors pourquoi ceux-ci, et ce vieux canope en particulier ?  
- Et ton homme mystère, il ressemble à quoi ?  
- Le style british, très smart, inspecteur de police à l’entendre, sachant beaucoup de choses sur moi et moi strictement rien sur lui. Le matin qui a suivi le déclenchement nocturne et intempestif de l’alarme dans le musée, j’ai aperçu le bonhomme sortant du commissariat. Malheureusement, je n’en sais pas plus pour le moment.  
- Si j’ai bien compris, tu souhaites que je fasse ma petite enquête de mon côté sur ces disparitions d’objets égyptiens, et sur Béthell par la même occasion, c’est bien ça ?  
- Je ne peux rien te cacher ! Tu sais que tu as toujours su faire de moi ce que tu voulais...  
- C’est ça, fous toi de moi en plus ! Mais es-tu sûr de tout ce que tu avances ?  
- Écoute, si ce type, Béthell, n’était pas venu me voir peu de temps avant cette fameuse nuit et si le directeur du musée des antiquités n’avait pas eu cet étrange comportement à mon égard, je n’aurais même pas eu le début du commencement d’un doute. Mais, là, c’est trop gros pour n’être qu’une simple coïncidence.  
- Mais pourquoi être venu te raconter tout ça, à toi, le petit journaliste employé par un petit journal de province vendu quotidiennement tout au plus à une douzaine d’exemplaires ? railla-t-il, un sourire provocateur sur les lèvres. 
- Sans doute parce qu’il voyait en moi le journaliste que tu ne seras jamais, mon bon Pierre ! Lui lançai-je.  
Pierre manqua d’avaler son café de travers ce qui eut pour effet de déclencher un fou rire. L’enthousiasme, l’optimisme indestructible, la bonhomie et l’amour de la vie chez cet homme avaient toujours su me séduire. J’étais véritablement très fier d’être son ami. Un ami à qui on pouvait tout demander. Et il savait qu‘il pouvait aussi compter sur moi.  
 
A midi, nous partageâmes un déjeuner dans un bon restaurant, situé à quelques centaines de mètres de là, et choisi tout spécialement par le parisien de service qui n’avait pas son pareil pour dénicher les bonnes adresses. D’ailleurs il le portait sur lui à en juger le petit embonpoint plus que naissant qui n’était pas du seul fait de son demi siècle passé. C’est donc tout sourire et la moustache frémissante qu’il saisit la carte des vins afin d’y dégoter la perle rare. Et rouge de préférence. Les mets proposés par ce “ Bouchon “ lyonnais n’étaient pas les plus légers qui soient mais je n’étais pas près d’oublier le ravissement qu’ils offrirent à mes papilles. Je ne risquai pas d’oublier ce somptueux moment de démonstration et de dégustation de vraie cuisine de terroir à la française. C’est donc la panse pleine que je quittai mon ami tout près du restaurant m’apercevant tout à coup que je n’étais pas le seul à avoir profité du repas car le ventre de Pierre en ressortait plus rebondi que jamais et sa cravate plus mouchetée encore. Cette dernière avait manifestement été le témoin du passage des différents plats qui allaient de l’entrée au dessert et notamment celui de la charcuterie lyonnaise à croire qu’il l’avait confondue avec sa serviette. 
- Bon, David, tu peux compter sur moi pour ton affaire. Je vais voir ce que je peux trouver et je te tiendrai au courant.  
- Merci, Pierre à la fois pour ton aide mais aussi pour ce somptueux repas. La prochaine fois, c’est moi qui t’invite à un succulent repas à la normande et je te laisserai choisir le vin, promis !  
- Ok, David. Bon, tu ne veux vraiment pas que je te dépose à ton rendez vous ?  
- Non, ça va, merci. Je vais prendre le métro. Ca me rappellera le bon vieux temps, quand je n’étais qu’un simple esclave à ton service sur Paris.  
- Ouais, c’était le bon vieux temps. A cette époque là, tu m’obéissais et tu me respectai, lança-t-il les mains posées sur le ventre. Bon, on reste en contact. Et ne manque pas de me tenir au courant surtout.  
Une dernière accolade, suivie d’une bonne poignée de mains et je regardai Pierre disparaître au coin de la rue. La bouche de métro la plus proche était à peine à cinquante mètres. Il était 14h00 et j’avais rendez-vous avec Morante à 15h00 à son domicile. Heureusement, j’avais une bonne connaissance du réseau souterrain. Un ticket rapidement acheté et composté, un premier portillon passé après avoir vérifié les diverses destinations et j’arrivai sur le quai désiré pour attendre la bonne rame. Un petit vent frais s’échappait du tunnel et me fit frissonner, ce qui m’obligea à remettre ma veste. Il n’y avait pas beaucoup de monde. Quelques parisiens et surtout des touristes étrangers. Il est toujours très facile de différencier ces deux familles. Le local ne regarde personne, ne parle pas, lit un livre, un magazine sans se soucier du tout du monde qui l’entoure. Le touriste, quant à lui, souvent l’appareil photo en bandoulière et curieux de tout ce qui l’entoure, parle et même parfois assez fort contrastant ainsi avec le premier. Enfin , la rame arriva, s'immobilisa le long du quai et il me fallut subir la vague déferlante des personnes qui en descendait avec la peur de ne pas avoir le temps d’y monter moi-même avant qu’elle ne démarre. Ce fut quasiment au péril de ma vie que je gagnai enfin la voiture. Pour avoir osé remonter cet impétueux et violent courant humain, le dieu de la RATP me gratifia d’un écrasement des orteils, d’un doigt dans l’œil et d’une griffure à l’avant-bras. "J'ai réussi à garder mes vêtements, c'est un véritable miracle" , pensai-je. La rame démarra enfin et je comptabilisai à l’aide du panneau situé en hauteur dans la rame le nombre de stations qui me séparaient de mon rendez-vous. Pendant le voyage, je vis monter et descendre plusieurs centaines de personnes, mais aussi des musiciens, conteurs, poètes, saltimbanques de toute sorte qui faisaient la manche, j’entendis parler à peu près toutes les langues de la planète et passai du rouge au vert suivant que j’étais écrasé ou incommodé par des parfums trop capiteux ou des aisselles trop échauffées. Enfin, j’arrivai à destination et eu toutes les peines du monde à quitter la rame. C’est là que je compris mes co-voyageurs du matin si âpres au combat ayant là moi aussi l’envie soudaine de mordre. Je montai les dernières marches qui me séparaient de la surface quand mon portable se mit à vibrer. Je décrochai et entendis la voix de Marc :  
“ Salut, David. J’ai une info qui devrait t’intéresser.  
- Vas-y, je t’écoute, lui dis-je impatient.  
- J’ai discrètement mené ma petite enquête. C’était pas du gâteau, tu penses, puisque ton gars était en rendez-vous avec mon boss. Bref, ton Bethell est bien de la maison.  
- Il est flic ?  
- Ouais, mais je n’ai pas réussi à savoir dans quel service. Ce que je sais, c’est qu’il est mandaté par le Ministre de l’Intérieur en personne.  
- Quoi ?  
-Comme je te le dis ! Mais motus, hein ! Je ne t’ai rien raconté, nous sommes d’accord ! C’est bien pour toi que je le fais...  
- T’inquiète, personne ne le saura ! Et à mon retour, je saurai te remercier comme il se doit, compte sur moi !  
Je raccrochai et reconsidérai tout à coup mon entrevue avec Bethell. “Alors là, ça change tout ! Qu‘attend il de moi alors ?“ me dis-je. Et ce n’est qu’arrivé au bas de l’immeuble de Bernard Morante que je redescendais sur terre. J’appuyai sur le bouton de l’interphone voulu et me présentai. La voix métallique de mon interlocuteur me répondit : “Quatrième à gauche ! “ et j’entrai...
 
 

 
 
 
 
   
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Modifié en dernier lieu le 30.09.2009
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