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  LE PHARAON BLANC







Une Étrange Visite

Chapitre 2 
 
L’avantage des reportages à mener dans sa commune, c’est que la distance qui nous sépare du journal est extrêmement faible, ce dernier étant d’ailleurs situé en centre ville à deux pas du musée. Quant à la technique employée avec le numérique, cela évite les bons vieux clichés d’antan surmultipliés et aux développements interminables. Une petite connexion et le tour est joué et je ne vous parle même pas des retouches possibles. Adieu bourrelets, boutons et autres embarrassantes imperfections et bonjour tablettes de chocolat, jambes interminables et teints éblouissants. Après, évidemment, c'est au rédacteur de faire son choix...  
“ Alors, Thierry, la journée a été bonne ? lui demandai-je  
- Tiens, le retour de la momie. Tu as ton papier à me confier ?  
- Ouais, et j’ai mieux que ça encore ! Tu vas me payer un petit voyage à Paris et je te ramènerai en échange une interview exclusive !  
- Ben, voyons... Et tu comptes interviewer qui ? Ramsès II ? “  
Cela faisait près de vingt ans que Thierry et moi nous connaissions. Il avait une quinzaine d’années de plus que moi. On habitait à l’époque pas très loin l’un de l’autre. Son petit frère, Marc, était mon meilleur ami. De temps à autre, alors que j’allais chercher Marc à son domicile pour aller au collège, je croisais Thierry qui suivait alors des études de journalisme. En apprenant à le connaître, il m’a donné l’envie de faire ce métier. Quelques années plus tard, après avoir réalisé et m'être fait les dents dans plusieurs rédactions locales et nationales, nos routes se croisèrent à nouveau. Une place était vacante dans sa rédaction et c’est tout simplement qu’il me la proposa. Après cinq ans de travail, qu’il avait certainement apprécié, il me confia un peu plus de responsabilités au sein du journal allant jusqu’à m'en laisser les rênes pendant ses brèves absences. Enfin, surtout pour régler les affaires courantes. Il ne s'absentait jamais très longtemps et ceci au grand désespoir de son épouse. Il avait confiance en moi et c’était largement réciproque. Je le respectais en tant que Rédacteur en chef mais surtout en tant qu’homme.  
“ Je te propose une interview exclusive, et pas n’importe laquelle, repris-je. Celle d’une de mes idoles que je viens de croiser au musée.  
- Ah, tu as rencontré Madonna, Mac Cartney ou peut-être... Zidane ? railla-t-il.  
- Il n’y a pas que la musique ou le foot dans la vie ! Non je veux te parler de Bernard Morante !  
- Morante ? Une expo sur l’Égypte et hop, Bernard Morante ! C’est pas très original, tu m’avoueras... Ce qui l’est plus par contre, c’est le fait que cette expo en région ait su l’attirer.  
- N’est-ce pas ? Nous avons échangé des propos sur des pièces de l’exposition, nous avons quelque peu sympathisé et puis il s’en est allé. Cela n’a pas duré plus de 10 minutes mais, fais-moi confiance, je ne risque pas de les oublier.  
- Tu me ramènes une photo de lui, j'espère ?  
- Pour tout te dire... Cela s'est passé tellement rapidement que... Enfin...  
- Ouais, ok... Toute une éducation professionnelle à retravailler, si je comprends bien... Et pour l’interview ?  
- Tu penses bien que j’ai sauté sur l’occasion pour lui en proposer une sur le champ... qu’il a malheureusement refusée. Mais il m’a laissé sa carte et accepté que l’on se revoit en me promettant de m’accorder le temps nécessaire cette fois-ci.  
- Et tu dois le rappeler quand ?  
- Dès demain ! Elle est pas belle la vie ?  
- C’est la mienne qui risque de devenir infernale si je te refuse ce déplacement si j’ai bien compris.  
Thierry se renversa dans son fauteuil qu’il fit rouler pour s’écarter de son bureau et ainsi pouvoir allonger ses longues jambes. Un mètre quatre-vingt quinze, ça doit se déplier quelques fois dans la journée. Pour ma part, je n’ai pas le problème. Un mètre soixante-dix, ça rentre partout, quel que soit le lieu, le bureau, le véhicule ou le vêtement. Par contre, dans le domaine sportif il faut toujours savoir se mettre du côté des plus grands. Surtout au Basket. Au tournoi interprofessionnel et local organisé et sponsorisé par le journal, une fois par an, j’ai la chance de jouer avec mon Rédac en Chef. Il se fixe en attaque le plus vite possible sous les paniers et il compte sur moi pour lui passer la balle. Ca ne marche pas toujours mais on ne s’en tire pas si mal que ça. L’année dernière, nous avons joué la finale contre les Sapeurs Pompiers qui nous ont laminé... Il faut dire que Thierry était resté sur le banc de touche avec une belle entorse qu’il s’était faite en demi-finale en heurtant de plein fouet un conseiller municipal. Manque de chance...  
- Bon, tu me boucles ton article sur l’expo égyptienne à l’instant et tu files le tout à Raymond. Pour ce qui est de ton Morante, contacte-le dès demain comme convenu et tiens-moi au courant. On pourra en profiter pour faire une double page spéciale avec ton interview du romancier, un rappel sur l’Égypte Antique et l’expo qui se termine fin juin. Ce qui devrait nous laisser une dizaine de jours pour peaufiner cette spéciale. Tu vas donc me ficeler tout ça dès que possible. J’attends ça pour la fin de semaine.  
- Ok, Boss ! Tu peux compter sur moi !"  
Je quittai le "Normandie matin" une heure après avec la satisfaction du devoir accompli. Je ne pouvais d’ailleurs rêver meilleur article tant l’Égypte Antique semblait omniprésente dans chacune de mes photos prises au musée. Pour fêter l’évènement, je décidai de passer manger un morceau chez Roberto qui était à la pizza et à la pasta ce qu’Imhotep était à l’architecture et à la médecine égyptienne. C’est à dire un génie. L’autre grande satisfaction de la journée résidait dans le fait d’avoir évité pendant vingt-quatre heures l’utilisation de la sacro-sainte voiture. Pour une fois, je pouvais trouver dans un espace assez restreint à la fois mon domicile, le musée, la rédaction et la pizzeria. Je n'avais d'ailleurs pas trop à me plaindre car en règle générale mes déplacements professionnels étaient assez limités. Mes sujets à traiter concernant, dans la plupart des cas, l'agglomération rouennaise dans un rayon de trente à quarante kilomètres tout au plus, le seul problème résidait dans la difficulté de trouver une place de parking autour de mon domicile situé en plein centre ville. La marche suffisait donc amplement. Je distinguai déjà la devanture du restaurant. Le soleil profitait de cette longue journée de Juin pour s'étirer longuement et nous réchauffer ardemment le plus longtemps possible. Il se détachait sur un pur ciel bleu sans nuages. On se serait cru en vacances quelque part sur la côte. Il flottait un je-ne-sais-quoi de léger voire d'insouciant dans l'air. A croire que l’exposition sur l’Égypte avait influencé le temps normand. On n’allait tout de même pas s’en plaindre. Je poussai la porte du restaurant “Le Péplum“ et la première chose que j’aperçus avec satisfaction fut le sourire du maître es pizza. Il enfournait dans son large four une superbe pièce sur laquelle on aurait pu aisément manger à douze. Il m'aperçut aussitôt :  
“ Salut, David ! Comment ça va ? me lança-t-il.  
- Bien. Très bien ! Crois-moi. J’ai passé une excellente journée et j’ai pensé qu’elle devait se terminer en apothéose. Alors je vais m’installer à ma table habituelle et goûter à ta fameuse Calzone.  
- Avec un petit rosé, comme d’habitude ?  
- On ne peut rien te cacher.  
Je traversai le restaurant et m’installai donc à ma table. Elle portait le numéro 7. Ce n’est pas en raison de ce chiffre que je préférai cette place, non, mais plutôt parce qu’elle me permettait d’avoir une vue d’ensemble légèrement surélevée de la rue et de la salle de restaurant en même temps. Les trois marches qui y menaient ne faisaient qu’amplifier le phénomène. C’est ainsi que, depuis mon petit pied d'estal, je vis rentrer, au bout de quelques minutes, un curieux personnage. Je fis d’abord attention à lui parce que le restaurant était désert et que la moindre animation, le moindre mouvement dans ce cas attire toujours l’œil. Seul un jeune couple, main dans la main, yeux dans les yeux, les plats refroidissants devant eux, dînait à l’autre bout. Mais c’est surtout le style de cet homme qui suscita mon attention. Malgré la chaleur environnante, il portait un costume trois pièces au look très “ british “. "Il ne lui manque plus que le chapeau melon pour s’apparenter à John Steed, pensai je. Par contre la canne, elle, compte bien au nombre des accessoires de la panoplie, britannique à souhait". L’homme jeta un oeil vers le couple puis se tourna vers moi. Et il se décida à venir dans ma direction. La démarche était souple et noble, le port de tête princier. Le visage, que barrait une mince moustache noire, ne laissait apparaître aucune émotion particulière. Arrivé en bas des trois marches, il s’adressa à moi dans un français parfait, sans aucun accent particulier, tranchant ainsi avec l'idée que je me faisais de lui, ce qui me surprit :  
“ Monsieur Carter, je présume ?  
- C’est bien moi, oui. A qui ai-je l’honneur ?  
- Mon nom est Richard Bethell. Pourrais-je....  
- Je vous en prie, asseyez-vous !” Lui dis-je en lui présentant la chaise qui était face à moi. L’homme gravit lentement et avec beaucoup d'assurance les trois petites marches qui me séparaient encore de lui. Il saisit la chaise et prit place à ma table. Je fus quelque peu troublé par son regard. Ses yeux étaient noirs. Il me fixait guettant une quelconque réaction de ma part. C'était comme s'il cherchait déjà à me “sonder”, à me deviner. Il marqua un blanc qui me mit subitement mal à l'aise et que je m'efforçai de combler tout de suite :  
“Alors que puis-je pour vous, Monsieur Bethell ?  
- Vous étiez bien au musée aujourd’hui, Monsieur Carter, n’est-ce pas ?  
- Oui, bien sûr, mais... Il ne me lâchait pas du regard et semblait vouloir détecter un imperceptible mouvement de ma part, un geste, un tic, une parole, que sais-je, qui trahirait dieu je ne sais quoi. Il fallait que je reprenne le contrôle de la situation. Il faisait partie de ces gens qui parfois, brutalement et bizarrement, vous déconcertent, vous surprennent et vous prennent de court.  
- J’aimerais savoir ce que vous a dit Monsieur Morante.  
- Pardon ?  
- Je comprends votre étonnement, Monsieur Carter. Mais ne voyez aucune malveillance dans mes propos. Je mène une enquête. Celle-ci m’a amené jusqu’à votre charmante petite ville. J’étais présent au musée au moment où vous y étiez. Et c’est Monsieur...... Il retira un petit carnet rouge de sa poche qu’il ouvrit et reprit... Monsieur Richardson, votre Rédacteur en chef si je ne m’abuse, qui m’a appris que je pourrais vous trouver ici au cas où vous ne seriez pas chez vous.  
Bien renseigné le Boss, pensai-je...  
- Pour qui travaillez-vous, Monsieur Bethell ?  
- Disons que je suis inspecteur de Police.  
- Et vous menez une enquête, me disiez-vous ? De quel type précisément ?  
- Il s’agit d’une enquête portant sur des vols d’objets anciens qui se sont multipliés ces derniers temps dans des musées ou chez des collectionneurs de renommées internationales.  
- Ah, je n’en ai pas eu vent...  
- Pour être sincère, il ne serait pas de bon ton que ce genre d’information circule.  
- Et pourquoi donc ?  
- Nous dirons que certaines personnes n'aimeraient pas s'étendre sur leurs petits soucis... Ni même faire parler d'elles dans ce genre de circonstances... Quant aux musées concernés, ils n'ont pas vraiment besoin de ce genre de publicité, vous le comprendrez bien...  
- Notre bon vieux musée aurait-il eu à en souffrir ?  
- Pas que je sache. J’avais simplement besoin d’en rencontrer le directeur.  
- Et en quoi ma rencontre avec Monsieur Morante peut-elle vous intéresser ?  
- Simple curiosité professionnelle...  
- Notre admirable romancier serait-il suspecté de quelque chose ?  
- Le hasard a voulu qu’il soit aujourd’hui sur mon chemin. Un tel homme dans cette exposition et dans ce musée... N’y voyez là que la simple expression d’une intuition policière toute légitime, voilà tout.  
- Et c'est cette même intuition qui vous a lancé sur ma piste, fait passer par mon journal, puis par ce restaurant ?... Vous semblez être du genre tenace, vous... Et bien je ne vais pas vous apprendre grand chose de ces quelques minutes d’échanges avec Bernard Morante. Nous n’avons fait que partager notre passion commune pour l’Égypte Antique.  
- Rien de plus ?  
- Non, pas que je sache...  
- Il ne vous a pas proposé de vous revoir bientôt ?  
- Si, mais... Comment... ?  
- Toujours ma fameuse intuition. Que voulez-vous... Malgré tout, j’aimerais que vous me teniez au courant de votre entrevue à venir.  
- Attendez, attendez,... l'arrêtai-je. Vous souhaitez que je vous rapporte ce que Bernard Morante va me dire au cours d’un futur contact ? Et bien, il vous suffira pour cela de lire l’article que j’écrirai par la suite. C’est tout !  
- Monsieur Carter, quelque chose me dit que votre nouvel ami va vous faire une proposition... Proposition que vous ne saurez refuser, j’en suis certain.  
- Une proposition ? Quelle proposition ? Mais enfin, si vous me disiez où vous voulez en venir à la fin !  
- Il est encore un peu trop tôt ! Bien, je vais vous laisser prendre votre repas tranquillement. Il ne faut pas abuser des bonnes choses. J’aurai d’ailleurs certainement l’occasion de vous revoir, j’en suis persuadé. Au revoir, Monsieur Carter.  
Il déposa sa carte de visite sur la table, se leva et prit congé sans ajouter un mot supplémentaire, se contentant de me saluer d’un simple fléchissement du buste. Curieux personnage et curieuse manière de finir la journée. Le petit bristol abandonné près de mes couverts ne me confiait que le nom et le prénom de mon visiteur mystère ainsi que son numéro de portable. Roberto m’apporta au même instant sa fameuse “ Calzone “.  
- Dis donc, très classe ton nouveau copain, David ! C'est qui ? me demanda le maître pizzaïolo.  
- J'en sais trop rien, Roberto... Ce que je sais, par contre, c'est que le rosé que tu tiens, là, dans la main droite sera le bienvenu !  
Tout sourire, et n'insistant pas, il me laissa le liquide coloré et désiré sur la table, me glissa la pizza sous le nez et retourna à ses occupations. L'odeur de la pâte dorée à souhait, mêlée à celle des épices, des aromates et de la cuisson au feu de bois, vint me chatouiller amoureusement les narines. Mais très bizarrement, je ne me jetai pas dessus comme je pensai le faire en entrant dans le restaurant, étant beaucoup trop absorbé par cette énigmatique visite.
 
 

 
 
 
 
   
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